Réussir le marketing de solutions B2B demande ordre et méthode. Au
contraire d’une démarche fondée sur le spécifique, et donc des coûts non
amortissables, la bonne pratique consiste à normer les phases. La première est
la Phase 1. Surprenant, non ?
LE MARKETING OU L’ART DU
STORY TELLING
Un mardi matin pluvieux d’octobre, 8h26. Odile* retrouvait cette crampe au
ventre qui lui rappelait les épreuves des concours. La différence était que
cette fois-ci, c’était elle qui allait faire face aux élèves, face au 64 garçons et filles inscrits en Mastère 1 de Marketing. Comment se
retrouvait-elle – Odile Gealmon, la directrice Ventes & Marketing de
360SECURITI – à donner ce cours pour la première fois de sa vie ?
Les différentes étapes de la transformation de 360SECURITI, dont la fusion
avec MECAPORT, et le travail qu’avait mené Odile à la demande du PDG Jean
Lassalle pour augmenter la différenciation compétitive des offres l’avaient
conduite à documenter plusieurs des phases du processus marketing B2B.
D’interventions ponctuelles dans des séminaires sur la création de valeur, elle
été passée à des contributions à des publications spécialisées. Puis un jour le
directeur de son ancienne école lui proposa de devenir professeur consultant.
Et c’est ainsi, après beaucoup de travail de préparation, qu’Odile entrait pour
la première fois dans une salle de cours pour enseigner le marketing.
« Mesdemoiselles, Messieurs vous allez participer
à une première mondiale ! Vous allez vivre une expérience que jamais
personne n’a connue ! » lança Odile à un auditoire visiblement
interpellé. « Je vais vous emmener
au cours de ces 6 séances dans un voyage dont j’espère que vous reviendrez
aussi passionnés que moi ». Incrédulité, doute, amusement et même
défiance ; tout cela Odile le vit sur le visage des ses étudiants. « Ma promesse est simple : vous transmettre
des outils et méthodes éprouvés sur le terrain pour pratiquer le marketing de
solutions B2B. Et comme dit Angela Ahrendts,
la PDG de Burberry’s « le marketing c’est du story telling », je
vais donc vous raconter des histoires tirées de mon expérience. A vous de bâtir
les vôtres. Que ceux qui sont prêts pour le voyage se lèvent ».
Evidemment le pari était risqué, même idiot, mais Odile s’était dit que comme
cela elle saurait dès le début si elle était sur la bonne voie…et les
professionnels du marketing aiment le jeu ! En 2 minutes, les 9/10 de la
classe était debout. Maintenant, il lui fallait tenir sa promesse.
L’HISTOIRE D’UN MALENTENDU
Quand Philip Kotler, considéré
comme le « père du marketing », définit le marketing il s’y prend à
plusieurs fois au travers de ses différentes publications. De “Marketing
Management: Analysis, Planning, and Control” en 1967 à “B2B Brand
Management” en 2006 il en fait évoluer le sens pour mieux
coller à la réalité et aux retours de ses clients à travers le monde..
• Marketing is the
science and art of exploring, creating, and delivering value to satisfy the
needs of a target market at a profit. Marketing identifies unfulfilled
needs and desires. It defines, measures and quantifies the size of the
identified market and the profit potential. It pinpoints which segments the
company is capable of serving best and it designs and promotes the appropriate
products and services.
Et il ajoute
Traduit en français, le Marketing est devenu la Mercatique. Et au lieu de
laisser le marché définir le terme, c’est l’administration française – dont les
compétences en marketing sont notoires – qui écrit au Journal Officiel du 2
avril 1987
• « L'ensemble
des actions ayant pour objectif de prévoir ou de constater, et le cas échéant,
de stimuler, susciter ou renouveler les besoins du consommateur, en telle
catégorie de produits et de services, et de réaliser l'adaptation continue de
l'appareil productif et de l'appareil commercial d'une entreprise aux besoins
ainsi déterminés. »
On mesure l’immense malentendu que de nombreux dirigeants français
entretiennent avec la marketing tellement cette vue officielle est éloignée de
l’esprit et de la lettre de Kotler. La définition française omet totalement la
notion suivant laquelle la mission #1 du marketing est de créer de la valeur
pérenne pour les clients, et focalise sur un modèle colbertiste et
productiviste éloigné des meilleures pratiques du marché.
“Vous avez probablement noté que je
vous ai proposé d’axer notre séminaire sur le marketing des solutions B2B. La
raison en est simple, c’est ce que je connais ! et vous trouverez
d’ailleurs de nombreux points communs entre le B2C et le B2B (voir
Les 4 enjeux de la transformation à "Mon-Produit-As-A-Service "). J’ai une définition simple qui fonctionne bien
dans mon univers professionnel, à vous de l’adapter au vôtre».
Une solution B2B est aujourd’hui la combinaison de 5 éléments
indissociables :
- Des technologies et des PRODUITS matériels & logiciels
- Des SYSTEMES d’information et de communication
- Des savoir-faire de femmes et d’hommes en termes de conception, définition et conduite de projets, le support et l'exploitation, ainsi que les méthodes & outils associés aux processus : les SERVICES
- Des PARTENAIRES (industriels, technologiques, commerciaux, …)
- Et « last but not least », des CLIENTS.
« J’insiste sur ce dernier point. Sans les
clients, nous ne sommes rien et le marketing est inutile. Ne l’oubliez
jamais ! »
Dans « Rapprocher les fonctions vente et marketing – l'impératif du chiffres
d'affaires », le recentrage
sur le client qu’Odile et Solenne Lupin, la DRH de 360SECURITI, avaient conduit
démontrait la pertinence de ce 5° élément comme fédérateur de l’entreprise.
PHASE 1 : L’ANALYSE BUSINESS & MARCHE
« La première étape dans le
processus marketing solution est l’analyse du marché sur lequel l’entreprise
veut se placer. Mais est-ce bien le rôle du marketing ? » commença
Odile.
Le plus souvent c’est le dirigeant de la société qui élabore la vision de
ce qu’il (elle) veut apporter à ses clients et sur quoi il (elle) base son
projet entrepreneurial. L’histoire raconte qu’Akio Morita, le patron de
Sony, rentrant d’un long voyage en avion pendant lequel où il n’avait pas pu
écouter sa musique préférée demanda à l’un de ses ingénieurs, Nobutoshi Kihara, de trouver une
solution (ce sera le Walkman).
Cependant au sein de cette vision du dirigeant, les responsables
marketing ont la charge d’imaginer les gammes de solutions attractives, les
modèles économiques rentables, les écosystèmes pertinents pour l’entreprise. Et
un responsable marketing qui se veut…responsable ne peut pas déléguer
« vers le haut » ce travail de projection dans l’avenir, même si la
décision en restera ultimement au chef d’entreprise.
La première phase du processus marketing est celle de l’analyse du business
et du marché, aujourd’hui et dans l’avenir. Les 4 blocs constitutifs sont assez
standards, qu’il s’agisse d’un produit de grande consommation ou d'une solution
B2B comme celles de 360SECURITI :
- L’analyse du marché
- L’analyse des forces en présence
- L’analyse des « briques » standards
- L’analyse des écarts
Le marché
Odile leur proposa un cas concret : « Evident me direz-vous ? Mais pas tant que cela. Chez 360SECURITI
nous avons du nous poser la question de savoir si notre marché était la
fourniture d’équipements pour sécuriser des sites industriels…ou bien fournir
les services de sécurité aux entreprises, en partie grâce à nos produits mais
aussi avec des prestations assez complexes par exemple pour les
installations classées Seveso».
Maîtriser la notion même de marché demande à réfléchir au-delà de sa définition à T0 et à travailler sur la notion de bénéfice client. C’est ainsi que de nombreux fabricants de téléphones mobiles ont totalement disparu du marché faute d’avoir perçu leur marché comme non pas celui de la téléphonie sans fil, mais celui de la communication instantanée et sans contrainte.
Le défi est posé : comment ne pas tomber dans le piège de l’évidence
et de la reproduction d’un modèle connu ? Le rôle du marketing stratégique
est d’être libre dans sa réflexion et – intelligemment – politiquement
incorrect ! « Mais pour ça il
faut bosser vos dossiers. Vous le savez, l’image du marketing est souvent pas
terrible surtout auprès des ingénieurs ! Alors fouillez vos études,
quantifiez, mesurez et faites-vous challenger par un maximum de personnes à
l’intérieur et à l’extérieur de l’entreprise. » leur asséna Odile avec
un sourire en coin.
Les forces
L’analyse fine par le responsable marketing de l’ensemble des acteurs de
la chaîne de valeur révèle souvent une complexité dérangeante.
Ainsi la réglementation sur le niveau de sécurité requis pour différentes
industries qui, en changeant, peut mettre à bas la stratégie de 360SECURITI. Ce
sont ces facteurs exogènes qui sont les plus faciles à omettre dans la mesure
où ils échappent largement au processus de décision de la direction de
l’entreprise. Le rôle du marketing est de mettre en lumière ces facteurs de
risques et les factoriser dans l’équation économique du marché.,
Même la chaîne de valeur basique (matière première > composant >
produit final > client) fait appel à des acteurs internes et externes plus nombreux
qu’une vue superficielle ferait apparaître. « Quand nous avons réfléchi à notre portefeuille client (cf Faut-il
abandonner les clients non profitables ? 4+1 bonnes raisons de se méfier d'une
fausse bonne idée) nous nous
sommes rendus compte que le rapport de force que nous avions évalué entre ces
clients et 360SECURITI était très variable suivant l’angle d’analyse »
rappela Odile pour illustrer son point.
Enfin, et c’est là l’une des difficultés de nombreux modèles présentés en
tableaux sur Powerpoint, la notion de dynamique spatio-temporelle est la plus
difficile à identifier, interpréter et communiquer. En clair, comprendre les
forces en présence à un moment déterminé est déjà complexe, mais faire des
projections avec des options financières sur ce que seront les forces du marché
dans 2 à 3 ans relève de la gageure. « C’est
l’une des raisons pour lesquelles, l’un de mes complices préféré est notre
directeur financier, Hadrien Kürie. Je ne peux que vous encourager à former un binôme
solide avec votre DAF – vous y gagnerez en crédibilité et en pertinence
vis-à-vis de vos dirigeants. » leur lâcha Odile.
Les briques
« Les solutions B2B, c’est comme
du Lego. Vous prenez ce que vous avez dans la boite, vous créez votre propre
objet. Vous personnaliser avec des éléments pris ailleurs et vous installer
dans le décor. Bon c’est pas très glamour, mais c’est aussi cela le job du
marketing : créer avec un nombre limité d’ingrédients.» Odile voulait
les amener à un peu de modestie : dans sa conception, le responsable
marketing n’est pas le créateur mais l’agenceur. Et toute entreprise doit
savoir créer de la valeur pérenne à un instant donné avec les ressources dont
elle dispose, pas avec celles dont elle aimerait disposer.
Ces briques sont destinées à évoluer pour constituer des gammes qui elles
mêmes permettent une versatilité et une différenciation compétitive dans les
offres clients. La mission du marketing - en coopération avec la R&D, les
Services et les forces de vente – est de (faire) concevoir le bon nombre de
briques, et les bonnes briques, qui vont constituer le catalogue. Ce qui veut
aussi dire s’ouvrir largement aux notions de « make or buy » à toutes
les étapes de la chaîne de valeur. Le responsable marketing doit avoir le
courage, et donc la compétence, de (se) challenger quant à savoir ce qui est
constitutif du cœur de l’offre et de la propriété intellectuelle de
l’entreprise, et ce qui est périphérique ou accessoire. « Le respect des
points de vue de vos collègues ne vous dédouane pas de poser les questions
stratégiques, et faire des propositions même iconoclastes. C’est votre devoir
de professionnel. » conclut Odile.
Les écarts
Une fois analysée et quantifiée en termes de coûts / bénéfices la
distance entre le portefeuille de solutions actuelles et ce que l’entreprise
ambitionne de proposer, il convient de bâtir un plan opérationnel pour réduire
leur impact sur le business actuel et futur.
La particularité des « solutions » par rapport au
« produits » est qu’elles sont constituées pour partie de produits et
services issus d’autres entreprises. Pour le responsable marketing, la gestion
des écarts au fur et à mesure du cycle de vie de la solution est une activité
essentielle. Il doit résister aux pressions de tous ordres :
·
sélectionner à l’emporte-pièce un partenaire
technologique et en parler au client avant même d’avoir testé, certifié et
contractualisé ;
·
sous-estimer la criticité de la maîtrise de la
propriété intellectuelle de certaines briques et les externaliser au risque de
perdre la main sur la valeur intrinsèque de l’offre ;
·
minorer l’écart et, en particulier pour le logiciel
et les services professionnels, tenter de se « débrouiller » au
risque de s’exposer à de mauvaises et coûteuses surprises face au client.
Le marketing est en cela une pratique plus qu’une science, éventuellement
une science expérimentale.
PHASE 1 DU MARKETING DES SOLUTIONS B2B: LA
COHERENCE STRATEGIQUE
« Le marketing est à la fois
écologique et durable. » Les élèves rirent franchement quand Odile
leur dit cela avec sérieux et emphase. Ce que tout bon marketer sait est que
son rôle n’est pas de breveter des concepts mais essentiellement d’être utile à
son entreprise. Et pour cela il faut savoir être assez modeste pour s’informer,
s’appuyer sur les idées des autres, tirer parti des meilleures (et pires)
expériences du marché et les mettre en pratique dans son environnement.
« The Coherence
Premium » publié par deux collaborateurs du cabiner Booz&Co, Paul Leinwand et
Cesare Mainardi, dans le Harvard Business Review de juin 2010 fait partie des
sources dont on aurait tort de se priver. « Je vous en recommande la lecture attentive. Vous y trouverez des idées
pragmatiques pour tester et améliorer la cohérence stratégique de votre
entreprise, et l’appliquer dans le cadre du processus d’analyse du marché que
vous aurez à faire en tant que responsable marketing. » Ce conseil
d’Odile c’est celui de l’expérience et de la connaissance du terrain :
c’est pourquoi on peut affirmer que le marketing des solutions B2B est à la
fois écologique et durable !
•
La mise en place des fondamentaux du marketing
passe par une structuration et une formalisation de chaque étape clef, dont
l’analyse du marché est la première. Seule cette approche coopérative et
transparente est en mesure de permettre aux responsables marketing, et
particulièrement lorsqu’il s’agit de solutions complexes B2B, de jouer
pleinement leur rôle et d’être utile à l’entreprise. Dans cette démarche, il
convient d’être modeste et rigoureux en de s’appuyant sur des savoirs et des
expériences de tiers dans diverses industries. C’est un processus
d’apprentissage et de transmission permanent, d’écoute active et d’engagement
personnel au sein de l’équipe de direction de l’entreprise.
Les 4 blocs de la 1° phase du processus Marketing
Solutions sont :
- L’analyse du marché
- L’analyse des forces en présence
- L’analyse des « briques » standards
- L’analyse des écarts
L’art du responsable marketing est leur mise en
action efficiente !
*: Comme
tous les cas de cette série celui-ci est fictif et destiné à illustrer le
propos de l’auteur – nos lecteurs sont invités à le commente
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